Susie Reeves-Sharp, danseuse et professeure de danse
Comment as-tu su que tu voulais devenir danseuse ? Quel a été ton parcours pour y parvenir ?
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Je ne crois pas que ce soit quelque chose que j’ai décidé. C’était naturel, évident. Toute petite, je me suis mise à danser. J’étais timide, toujours dans les jupes de ma mère, je n’interagissais pas beaucoup avec les autres. Mais il y a eu la danse. Ma mère avait une grande collection de disques de musique classique, Chopin, Beethoven, et je me souviens que très jeune, je dansais constamment en les écoutant. Je n’ai pas pris des cours très tôt, pour une future danseuse professionnelle : j’ai commencé la danse classique vers l’âge de 10 ans, alors que l’on débute souvent vers 3 ans. La salle de danse était mon univers, un endroit où je pouvais laisser toute inquiétude à la porte et me laisser aller à être pleinement moi-même, à m’épanouir.
Adolescente, je suis partie en pension à Tring, une école spécialisée dans les arts de la scène, le théâtre, la musique et la danse. Je ne m’y plaisais pas beaucoup, c’était un monde un peu étriqué à mon goût ; seules les danses classique et jazz y étaient enseignées. J’y ai tout de même rencontré mes deux meilleures amies, alors je n’y suis pas allée pour rien !
Plus jeune, j’avais vu avec ma mère un ballet de danse contemporaine incroyable, chorégraphié par Criostopher Bruce ‘Ghost Dances’, qui m’avait époustouflé : j’étais en transe pendant toute la représentation, en me disant, « c’est ça que je veux faire ! » Mon but alors même que j’étais à Tring était d’entrer à la London Contemporary Dance School.
Lorsque ma mère est décédée, j’étais dévastée, j’ai voulu tout arrêter. Et puis j’ai pensé à tout ce que nous avions partagé, combien elle m’avait soutenue, combien la danse nous unissait : ces longues heures à m’attendre dans la voiture pendant mes cours, mes répétitions, ces soirées à coudre mes costumes de scène… J’ai pris le train pour Londres, j’ai passé les auditions, et je suis entrée à la Laban Centre
Comment débute-t-on sur scène ? Comment parvient-on à exercer ce métier ?
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At The Laban Centre, le cursus de formation dure trois ans, et puis ensuite, il y a la possibilité de faire une année de transition, au cours de laquelle on bénéficie encore de cours mais où l’on a aussi la possibilité de monter sur scène. Nous avons fait avec la troupe de cette année de transition une longue tournée en Asie, Singapour, Hong Kong, qui m’a permis de me projeter en tant qu’interprète.
Afterwards I then joined Geographical Duvet : nous embarquions le matériel dans un van et nous parcourions l’Angleterre dans toutes les directions. C’était excitant, innovant, nous gagnions à peine de quoi manger mais nous survivions. C’était les années 1980, nous expérimentions des choses, proposions des chorégraphies assez engagées, politisées…
En parallèle j’ai commencé à travailler aussi dans un restaurant, pour gagner de quoi joindre les deux bouts. Puis j’ai dansé dans le Casse-Noisette de New Adventures in Motion Pictures, la création de Matthew Bourne – il est très connu aujourd’hui mais il débutait à l’époque. Il propose des chorégraphies contemporaines qui revisitent les classiques comme le Chausson rouge, le Lac des Cygnes, la Belle au Bois dormant… J’ai dansé plusieurs années pour New Adventures in Motion Pictures, je partais pour 3 mois en tournée (le restaurant était compréhensif !), et là c’était les grands décors, les beaux costumes, les grands théâtres et les gros salaires…
Quand es-tu passée de la scène à l’enseignement ?
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Alors que j’interprétais une création de Aletta Collins, une chorégraphie qui me plaisait beaucoup, très originale, où je débutais ma partie juchée sur des coquilles d’œufs que j’écrasais sous mes talons, j’ai découvert que j’étais enceinte. J’ai réussi à danser sur scène jusqu’à sept mois de grossesse, vêtue d’une robe floue. Je me posais beaucoup de questions, comment j’allais vivre avec mon bébé, si j’avais envie de continuer à habiter à Londres, c’était dur… Nous avons décidé de fonder une famille avec le papa et nous nous sommes installés dans un village du Devon dont il était originaire. Lorsque mon fils Jasper a eu trois ans, et ma fille Ruby deux, j’ai commencé à donner des cours de danse dans le village, pour avoir une activité. Un parent d’élève m’a informé qu’une école locale, le King Edward VI Community College [établissement d’enseignement secondaire] à Totnes, cherchait un professeur de danse à mi-temps. J’ai été recrutée pour donner des cours deux jours par semaine, ce qui était pratique avec mes enfants, puis le poste a évolué à temps plein assez rapidement. Et j’y ai enseigné pendant seize ans.
Au départ, j’étais dubitative, je ne me voyais pas comme professeure. Je ne m’étais jamais projetée dans ce rôle, je prenais ça un peu de haut : pour moi être danseuse, c’était être interprète. Au bout de trois ou quatre ans pourtant, je me suis épanouie, je me suis sentie à ma place : c’est extrêmement gratifiant de faire découvrir le bonheur de danser, la sensation de liberté, d’accomplissement que cela procure. J’essaie d’ouvrir des portes dans les esprits, de déclencher la libération du corps, du mouvement… A chaque cours je guette quels freins je parviens à débloquer, je vois quel plaisir peut illuminer un-e élève lorsqu’il-elle parvient à libérer un mouvement, à trouver de l’espace entre ses os et ses muscles, à faire aboutir un geste. Je sais d’expérience à quel point la danse peut être un réconfort, un refuge, un espace de liberté. Tout le monde devrait danser, nos corps sont faits pour ça ! Les hommes devraient se l’autoriser beaucoup plus d’ailleurs, les cours ne sont pas réservés qu’aux femmes…
J’observe beaucoup et d’instinct je sais détecter qui pourra devenir un danseur ou une danseuse. J’ai fait en sorte de créer une connexion, une familiarité entre l’établissement où j’enseignais et des danseurs professionnels : tous les ans, j’invitais la London Contemporary Dance School à faire des représentations dans l’école. La danse est devenue une discipline reconnue, importante. Et j’ai accompagné plusieurs élèves qui ont intégré la London Contemporary Dance School et sont aujourd’hui devenus des danseurs professionnels et des chorégraphes.
Que fais-tu aujourd’hui en Ariège ?
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Je me suis installée ici en 2016 : j’ai rejoint mon mari, Lee, architecte installé à Aleu, par passion pour la montagne. Cela a été un nouveau tournant dans ma vie, j’aspirais à une vie différente en contact avec la nature, je voulais créer autre chose aussi, réinventer ma pratique de la danse. Ce n’est pas facile de quitter ses enfants, sa famille, ses amis, mais c’est une telle richesse de vivre ici, dans cet environnement…
Je donne des cours pour adultes et pour enfants, à Oust et à Saint-Girons. C’est très compliqué de trouver un endroit spacieux, propre, chauffé, avec un sol adapté : il faut créer une culture de la danse contemporaine en Couserans ! Heureusement, à la MJC d’Oust, il y a un espace vaste avec un vrai tapis de danse, pas tout jeune hélas, mais c’est déjà une chance.
Je maintiens cette connexion entre l’enseignement et la pratique professionnelle : j’ai pu construire ici mon projet de résidence de danse. Au mois d’avril, pendant une semaine, je propose à des danseurs professionnels et à des étudiants en école de danse de suivre l’enseignement de deux danseurs talentueux pour améliorer leur technique, collaborer et explorer de nouvelles formes de mouvement, d’expression. Ce qui rend cette proposition originale, unique, c’est le Couserans, la montagne : les danseurs sont toujours enfermés dans des studios, des salles de répétition, des théâtres, toujours en ville. Ici ils ont cette rare opportunité d’être en pleine nature (une randonnée est même programmée au milieu de la semaine), de trouver du temps et de l’espace pour réfléchir, faire émerger de nouvelles idées.
Comme dans mon enseignement, j’aspire avec cette résidence à agir comme une maïeuticienne, à permettre à des danseurs d’apprendre de nouvelles choses, certes, mais surtout d’exprimer ce qu’ils ont en eux, de trouver une liberté. C’est un métier très dur, on est constamment jugé, sous pression, on passe des examens, des auditions, on se conforme à des modèles dans l’espoir de décrocher un rôle, quelque chose qui nous permettra de travailler, d’exercer notre art, d’être payé… J’aimerais avec cette résidence qu’ils ou elles puissent faire un pas de côté, s’autoriser à explorer de nouvelles voies.
D’ailleurs avec le recul je me rends compte que je n’ai jamais été pleinement heureuse en tant qu’interprète. Je me suis sentie seule, inquiète très souvent ; j’étais heureuse sur scène, dans le mouvement, le temps de la représentation mais dès que je redescendais, je n’étais pas complètement satisfaite de moi, je doutais beaucoup. En tant qu’enseignante, je sens que je peux permettre à des talents d’éclore, de s’épanouir, j’essaie de transmettre le bonheur que je ressens à danser.
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